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https://www.lemonde.fr/blog/correcteurs/2023/02/27/petit-et-du-peuple/ : Une merveille, ce Petit dictionnaire du peuple !

« Petit » et « du peuple »

  

 

 

Jean Claude Léonard Poisle-Desgranges est un p’tit gars d’Orléans, il y naquit en 1789, et mourut parisien (rue Pelleport exactement, dans le 20e) en 1876. La famille comptait trois enfants, un autre garçon, l’aîné, et une fille que les parents ne craignèrent point de prénommer Marie-Antoinette, née en 1793, l’année même où était guillotinée la reine. On aimerait savoir comment fut accueillie par l’administration révolutionnaire la déclaration de cette naissance…

Cela dit, revenons à Jean Claude Léonard, qui, sous Napoléon le premier, suivit les armées comme responsable de la distribution du courrier aux soldats. Quelques années plus tard, le voici à Paname, épousant en 1820 une brodeuse, Sophie Bouchette. Et c’est l’année suivante que cet homme qui deviendra employé des postes publie son Petit dictionnaire du peuple,  « à l’usage des quatre cinquièmes de la France, contenant un aperçu comique et critique des trivialités, balourdises, mots tronqués et expressions vicieuses des gens de Paris et des provinces, suivi d’un grand nombre de phrases absurdes qu’on répète sans réflexion ».

Le désir de l’auteur apparaît clairement, et il le dit sans détour dans son « Avis à mes lecteurs » : « C’est en rappelant à la masse, pour laquelle j’écris, ses fautes journalières, que je prétends l’obliger à moins mal s’exprimer. » Mais, précise-t-il, « point de règles ni d’exceptions, le peuple n’a pas le temps d’en approfondir ».

Avant de continuer la présentation de l’ouvrage, faisons, si vous le voulez bien, une pause historico-géographique.

une image extraite de « Paris à travers les âges », ouvrage de Theodor Josef Hubert Hoffbauer publié par Firmin-Didot et Cie en 1885 – Brown University Library

Le dictionnaire fut publié par Chaumerot jeune (dont le grand-père paternel était confiseur à Dijon), libraire au Palais-Royal (quartier des libraires), au n° 188 de la galerie de bois. Cette galerie, vous la voyez ci-dessus, et voici ce qu’en dit la BnF :

extrait de la page « L’histoire du Palais-Royal« 

Le « Camp des Tartares » deviendra la galerie d’Orléans.

Retrouvons l’ami Jean Claude Léonard et son ouvrage. Pittoresque et passionnant ! En voulez-vous quelques exemples ?

* ANGOLA. Un chat angola ou angora. Les avis sont partagés ; mais l’académie se tait ; quand elle aura prononcé, nous saurons à quoi nous en tenir.
(on ne trouve toujours pas « angora » dans le Dictionnaire de l’Académie)

* Nous avons mangé DES BEIGNETS AUX POMMES.
Dites-moi, je vous prie, si les beignets se font sans pommes ?
Le mot de beignets suffit donc.
(eh oui, à l’époque, pas encore de beignets à la banane)

* CORNICHON, pris pour imbécille, n’est pas français. C’est une trivialité. Un père qui traiterait son fils de cornichon se ferait passer pour un être de la famille des concombres ; à rien ne tienne qu’il ait épousé une citrouille.

* La DESSERRE. C’est ainsi qu’on appelle la débâcle de la Loire ; or, desserre n’est français qu’en province, et où l’on n’a ni académie ni dictionnaire.
(on le voit : l’auteur est impitoyable pour les parlers régionaux, y compris le sien ! Mais Marie-Rose Simoni-Aurembou et Fabrice Jejcic, responsables de l’édition critique du « Petit dictionnaire… », apportent cette précision :
Le verbe desserrer, « avoir des remous produits par le dégel », est attesté depuis l’ancien français (1220) ; le substantif
la desserre apparaît au XVIe siècle : « dégel dans les eaux d’une rivière ». Mais seul Thibault, en 1892, confirme une localisation ligérienne, à Blois (…), d’où l’intérêt de celle de Desgranges.
En effet, en même temps qu’il critique un usage régional, l’auteur nous le confie sans se rendre compte qu’il nous offre  ainsi un trésor.

Deux petits derniers pour la route :
* ENGOULER et ENGUEULER, synonymes de mordre et injurier. Comme ce n’est que dans les faubourgs qu’on a adopté ces mots, fermons-leur les portes de la ville, ou gare à la contagion !
Et allez donc ! L’enceinte des fermiers généraux (qui existait encore en 1821) aurait-elle dû être doublée d’une enceinte contre l’argot ? 

Vous parlant de ce livre, nous ne saurions oublier le dessert que nous propose Jean Claude Léonard :  une dictée ! (présentée par Line Sommant, membre du jury national des Dicos d’or) qu’il adresse tout particulièrement au « grand nombre d’écoliers qui croyent avoir la science infuse en partage, parce qu’ils écorchent quatre mots de latin ». Bien qu’il prenne soin de prévenir qu’on n’y trouvera que « des mots simples et presque tous familiers », elle vous semblera sans doute, gens du XXIe siècle, pas facile du tout… Tenez, juste ce passage : « Plus loin, des homards en schakos et des centaures en czapkis, près d’un faisceau d’armes, s’amusaient à bayer aux corneilles… »

Une merveille, ce Petit dictionnaire du peuple, à la fabrication fort soignée, relié, très joliment illustré, pourvu d’une édition critique méticuleuse grâce à Marie-Rose Simoni-Aurembou, directrice de recherche émérite au CNRS, et Fabrice Jejcic, ingénieur de recherche au CNRS, préfacé par Jean Pruvost, l’homme des Journées des dictionnaires, et publié par les éditions Corsaire, sises à Orléans, qui n’omettent pas de mentionner les noms des deux correctrices.

* Merci à Michel Feltin-Palas qui,
grâce à sa lettre hebdomadaire « Sur le bout des langues« ,
nous a fait découvrir cet ouvrage.