Ce dictionnaire pas comme les autres, publié en 1821, nous fait découvrir le bon usage et la bonne orthographe des mots et citations de notre langue, parlée par les titis parisiens mais aussi par les petites gens de province, notamment de l’Orléanais. Avec, en bonus, la plus ancienne dictée connue en langue française.
Par Sophie Deschamps
C’est une vraie pépite que les éditions orléanaises Corsaire exhument avec la réédition de ce Petit dictionnaire du Peuple, sous-titré Des rustres de Paris aux rustauds des villages. De son auteur Jean Claude Léonard-Poisle-Desgranges (1789-1876) on sait peu de choses, sinon qu’il a passé son enfance sur les bords de Loire et qu’il s’est établi à Paris après Waterloo (1815).
Amoureux de la langue française, il publie donc son Petit dictionnaire du Peuple en 1821 « à l’usage des quatre cinquièmes de la France ». Son objectif est très clair comme il l’indique dans son Avis à mes lecteurs : « Rien dans nos grammaires, n’indique ce qui est ridicule : on n’y classe que des préceptes dont la définition aride fait fuir tel qui, par goût voudrait s’instruire. (…) Si, par mon dictionnaire, un de mes lecteurs se défait des fautes les plus grossières, il sera content de lui et de moi. »
Mais il prend toutefois la précaution d’ajouter : « Patience ! Messieurs les suffisans (sic) ! En me suivant mot-à-mot, peut-être aurez-vous quelque chose à apprendre. Parfois il serait possible que la vérité vous forçât à avouer que telle ou telle erreur vous était commune avec le surplus de mes lecteurs. » Car comme le précise le célèbre lexicologue et historien de la langue française Jean Pruvost dans sa longue préface, il s’agit « dans le droit fil démocratique de la Révolution française (…) de faire en sorte que tous soient à égalité en termes de langage ». Puis il ajoute : « Desgranges n’est pas un lexicographe, ses références sont douteuses (…) et c’est finalement ce qui le rend si précieux. Il ne travaille pas dans son cabinet mais au dehors, et il ne s’est pas contenté de recopier ses prédécesseurs ».
« dites-ne dites pas »
Car en fait, ce qui est savoureux dans cet ouvrage, c’est que l’auteur relève les fautes commises par les provinciaux, notamment ceux d’Orléans et de Tours mais aussi celles du peuple parisien, rappelant d’ailleurs à juste titre que ces derniers sont souvent d’anciens… provinciaux. Ainsi, sur le modèle « dites-ne dites pas » il présente son dictionnaire comme étant « un aperçu comique et critique des trivialités, balourdises, mots tronqués et expressions vicieuses des gens de Paris et des provinces ».
En feuilletant ce drôle de dictionnaire où il faut se laisser guider par son envie (au risque d’ailleurs d’y passer de longs moments ! ), on est tout d’abord étonné de découvrir de nombreuses erreurs dans l’emploi du féminin ou du masculin pour certains mots du langage courant. Desgranges explique ainsi que le mot Âge est masculin : « Il ne faut donc pas dire : c’est la grande âge mais le grand âge, ou c’est la bonne âge mais le bon âge. C’est aussi une mazette et non un mazette pour parler d’un joueur.
Non seulement il traque les barbarismes, c’est-à-dire les mots qui n’existent pas mais aussi ce qu’il appelle le galimatias anti-français comme « il se fâche pour reurien : dîtes pour rien ; Trifouiller. Farfouiller convient mieux ; Téterole pour biberon : barbarisme de province ; Tampire pour toi n’est pas français. Dites : tant-pis, tant-mieux. »
Indulgent, il sauve tout de même quelques mots dont certains sont toujours utilisés comme le verbe rigoler « jugé comme étant trivial mais admis dans quelques dictionnaires. »
De plus, Desgranges ne laisse rien de côté puisqu’il explique aussi comment il faut prononcer les mots : « Il ne faut pas dire le chat miâle mais il miaule. Prononcez miôle. »
L’auteur critique aussi les expressions inexactes de son point de vue mais tellement savoureuses : « Il n’a pas mal d’argent. Pas mal pour beaucoup, c’est du langage des gens du peuple ; Toupie (femme publique). Mot bas qu’on doit oublier dans une conversation décente. » Ou bien encore l’emploi de trémontade pour tramontane, avec ce commentaire « faute que font les trois quarts du peuple ».
La première dictée française
Desgranges complète enfin son dictionnaire avec la première dictée en langue française qu’il décrit ainsi : « C’est pour remettre à sa place l’écolier présomptueux, que j’ai composé le conte. (…) Je tiens pour très-difficile (sic) de l’écrire sans faute. » Pour Line Sommant, Docteure en linguistique française, qui en explique les difficultés « ce texte a le grand mérite historique d’exister, apportant la preuve que l’exercice de la dictée, quoique très décrié, a permis au fil des siècles de tester ses connaissances en orthographe et en langue française ».
Pour le plaisir en voici donc le début :
Il y avait à peine dix-sept printemps qu’on m’avait tenu sur les fonts, quand mon père voulut m’envoyer chez son frère, secrétaire-général dans un ministère. Satisfait de pouvoir enfin parcourir le monde, je quitte mes pénates sans regrets comme sans réflexion. Bientôt je perds de vue mon clocher. Enséveli (sic) dans mes pensers (sic) divers et cahoté par un maudit vélocifère, me voilà sur la route de Roanne à Paris. Amplement disposé à m’égayer un tant soit peu sur les badauds, j’arrive comme un ahuri dans la capitale, que je ne connaissais que d’après ouï-dire. À peine descendu de voiture, les cris assourdissants d’une grosse gagui me font jeter les yeux sur son éventaire, qui contenait un fruit qu’elle nommait chasselas, et qu’à Roanne on prendrait pour du raisin. Je la contemplais en vrai provincial, lorsqu’un épais butor tombé des nues et chargé d’une armoire, me pousse, et, par un croc-en-jambe, m’envoie heurter une borne sur laquelle je demeurai asphixié (sic) pendant cinq minutes.
Petit dictionnaire du Peuple. Des rustres de Paris aux rustauds des villages de Jean Claude Léonard-Poisle-Desgranges. Édition critique élaborée par Marie-Rose Simoni-Aurembou, Directrice de recherche CNRS, émérite. Complétée et menée à terme par Fabrice Jejcic, ingénieur de recherche CNRS, ex-directeur de l’unité « Cultures, Langues, Textes »
Corsaire Éditions, 34 euros