https://www.magcentre.fr/201227-un-beau-livre-revient-sur-un-siecle-de-fetes-johanniques-a-orleans/
La Covid a eu raison cette année des fêtes johanniques à Orléans, du moins sous leur forme traditionnelle. Mais Jeanne d’Arc est bien à l’honneur cet automne avec notamment un programme de conférences et la sortie d’un beau livre.

 

 

Orléans peut s’enorgueillir de posséder dans son patrimoine la plus ancienne fête de France (des fêtes johanniques inscrites à l’Inventaire national du Patrimoine culturel Immatériel depuis le 13 mars 2018). En effet, dès 1430, c’est-à-dire dès l’année suivant la libération de la cité par Jeanne d’Arc, une procession rendait déjà hommage à la valeureuse jeune fille. Des fêtes qui, six siècles après existent toujours même si de nombreuses modifications sont intervenues au fil du temps.

C’est pourquoi dans un beau livre Voix de Fêtes, cent ans de discours aux Fêtes de Jeanne d’Arc à Orléans 1920- 2020 (Corsaire Éditions), Pierre Allorant et Yann Rigolet reviennent en détail sur les discours des maires et des invités civils de ces fêtes. Une idée que l’on doit à Christian Bidault, fondateur de Mag Centre, qui nous a quittés en mai dernier.

Comme l’explique l’historien Jean Garrigues dans sa préface, « depuis 1920, ce rituel mémoriel s’est enrichi de l’invitation d’une personnalité extérieure, chargée de présider les cérémonies festives et de prononcer un discours toujours très attendu en hommage à Jeanne et aux Orléanais ».  Ainsi 96 personnalités politiques, mais aussi médiatiques, littéraires ou scientifiques ont laissé leur empreinte à Orléans. 96 et non 100 en raison notamment de l’interruption de ces festivités durant la seconde guerre mondiale. Des discours qui constituent, poursuit Jean Garrigues, « le fil conducteur de notre archéologie mémorielle, soubassement indispensable de notre histoire républicaine ».

Programme fêtes johanniques 2014

Vous ne trouverez toutefois pas dans ce livre les 96 discours des invités et des maires parce que comme l’expliquent les auteurs « cela aurait signifié couper, ne sélectionner que de brefs extraits (…) Cela aurait été aussi renoncer aux illustrations qui font la vie et le sel des fêtes, des portraits à la couverture de l’événement par la presse surtout locale, des caricatures aux menus de banquets et aux affiches et programmes qui donnent le ton de chaque millésime ». Du coup, Ils prennent soin de prévenir les reproches en reconnaissant que « la sélection a été rude, souvent douloureuse, éminemment critiquable car forcément en partie subjective».

Le maréchal Foch, premier invité des fêtes johanniques 1920, Collection Jacqueline Allorant-Jozon

Des invités politiques prestigieux 

Et il est vrai que la liste de ces invités raconte à elle seule les évolutions de la société française au sortir de la première guerre mondiale jusqu’à nos jours Ainsi, le premier invité de ces fêtes n’est autre que le maréchal Foch, le grand vainqueur de 14-18. Suivent les présidents des IIIe et IVe Républiques puis ceux de la Ve. Avec presque toujours des paroles fortes, Ainsi en 1947 (dont la couverture du livre reprend l’affiche avec l’intitulé RECONSTRUIRE) le président de la République Vincent Auriol parle franc : « Il faut que chacun comprenne qu’après cette guerre qui a ébranlé le monde, les ruines sont telles, le déséquilibre est si profond que, pour des années, le niveau de vie, quel que soit le régime politique, économique et social, ne peut plus être le même que dans les temps heureux antérieurs à 1914. »

Charles de Gaulle, invité fêtes johanniques, Claire Deschamps Jeanne d’Arc 1959 et Roger Secrétain, maire d’Orléans © DR

De même en 1959, le général de Gaulle rend hommage à Jeanne d’Arc par ces mots : « Cette jeune fille, venue combattre au moment où tout semblait perdu, cette jeune fille, dédaignant tous les artifices, allant droit au cœur, à l’âme de ses concitoyens et parvenant à leur rendre l’espoir alors qu’il paraissait perdu. »

François Mitterrand, invité des fêtes johanniques de 1989, archives Municipales et Métropolitaines d’Orléans. DR

En effet, la tradition voulait que le chef de l’État vienne présider les fêtes johanniques l’année suivant son élection. Une tradition respectée par Charles de Gaulle donc, Georges Pompidou est venu en 1963, en tant que Premier Ministre, et Valéry Giscard d’estaing  ne viendra lui qu’en 1979. C’est pourquoi François Mitterrand est venu deux fois, en 1982 et 1989, suivi de Jacques Chirac en 1996. Curieusement ce rituel s’est perdu avec le quinquennat puisqu’en 2008 Nicolas Sarkosy s’est fait représenté par sa garde des Sceaux, Rachida Dati tandis qu’en 2013, Serge Grouard (le maire ayant le privilège de choisir l’invité) a fait venir le chef d’état-major, le Général Bertrand Ract-Madoux.

Emmanuel Macron et Olivier Carré avec la Jeanne 2016, Emma Fesneau © Mag Centre

Et puis, il faut bien sûr citer le cas d’Emmanuel Macron qui lui est venu à Orléans en 2016, soit un an avant son élection, en tant que ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique. Une exposition médiatique qui lui permet en fait de lancer véritablement sa campagne présidentielle depuis la cité johannique avec un discours dans lequel  à travers son hommage à Jeanne, il trace déjà son chemin : « Elle sait qu’elle n’est pas née pour vivre mais pour tenter l’impossible. Comme une flèche sa trajectoire fut nette. Jeanne fend le système. » Ou bien encore : « Elle était un rêve fou, elle s’impose comme une évidence ».

Anne-Aymone Giscard d’estaing, invitée des fêtes johanniques de 1975 par le maire René Thinat, archives Municipales et Métropolitaines d’Orléans.

Anne-Aymone Giscard d’Estaing, première invitée femme en 1975

Il aura donc fallu attendre 55 ans avant qu’une femme préside ces fêtes, « reflet parmi d’autres du machisme de notre microcosme politique », déplore Jean Garrigues. L’épouse de Valéry Giscard d’Estaing accepte donc l’invitation du maire avec cette jolie phrase prononcée dans son discours : « Il a semblé juste que les femmes de notre pays soient associées à travers l’une d’entre elles à l’hommage rendu à la plus illustre de tous les temps. » Le maire de l’époque René Thinat a lui choisi une citation de Châteaubriand : « Les femmes valent infiniment mieux que les hommes. Elles ont l’élévation dans la pensée et sont généreuses. » Une autre épouse de Président, Bernadette Chirac viendra à Orléans en 2003.

Geneviève Anthonioz-de Gaulle, invitée par Jean-Pierre Sueur en 1997, La République du Centre

A ce jour 15 femmes ont présidé ces fêtes dont en 1997,Geneviève Anthonioz-de Gaulle, alors présidente d’ATD-Quart-monde, suivie d’ailleurs dans une volonté louable de “rattrapage” de trois femmes, Ségolène Royal, ministre de l’Enseignement scolaire en 1998, la garde des Sceaux, Elisabeth Guigou, en 1999 puis Nicole Fontaine, présidente du Parlement européen, en 2000.

Des invité(e)s atypiques mais très apprécié(e)s des Orléanais

Il convient également de se souvenir que le grand écrivain Maurice Genevoix a présidé ces fêtes  en 1954, de l’académicien Alain Decaux en 1988, mais aussi de Michèle Cotta, Présidente de la Haute-Autorité de l’audiovisuel (ancêtre du CSA), l’astronaute Claudie Haigneré en 2002, Hélène Carrère d’Encausse, secrétaire perpétuelle de l’Académie Française en 2007, le judoka David Douillet en 2010, le journaliste Patrick Poivre d’Arvor en 2011 ainsi qu’Audrey Pulvar en 2015, ou bien encore Stéphane Bern en 2014.

Stéphane Bern, invité des fêtes johanniques en 2014, La République du Centre

Sans oublier le geste républicain de Serge Grouard qui invite en 2012 ses deux prédécesseurs Jean-Louis Bernard (maire de 1988 à 1989 suite à la démission de Jacques Douffiagues et décédé le 26 mars dernier) et Jean-Pierre Sueur maire de 1989 à 2001.

Jean-Louis Bernard, Serge Grouard, Jean-Pierre Sueur, fêtes johanniques 2012, La République du Centre

Une initiative originale renouvelée en 2017 par Olivier Carré qui après le désistement de Jean-Louis Borloo invite les 22 maires de la Métropole puis en 2019 les 13 villes jumelées avec Orléans.

Thaïs de Cumond, Jeanne d’Arc 2007, La République du Centre

“Jeanne n’appartient à personne”

C’est une phrase qui a émaillé de nombreux discours aussi bien dans la voix des invités que dans celles des maires notamment dans les années 90. Car comme l’indiquent les auteurs : « Depuis le 1er mai 1988 et l’instauration de son propre défilé parisien place des Pyramides en hommage à Jeanne d’Arc, le Front National a longtemps réalisé une puissante et persistante privatisation politique du souvenir de l’héroïne, provoquant un malentendu de près d’un tiers de siècle entre l’esprit des fêtes orléanaises et la perception politique nationale de l’héroïne.»

Une jeune fille incarne la Pucelle d’Orléans depuis 1948

Mathilde Edey-Gamassou, Jeanne d’Arc 2016, Archives Municipales et Métropolitaines d’Orléans

Par ailleurs, il est impossible d’évoquer ces fêtes sans parler de la jeune fille qui durant une année se glisse dans la peau de Jeanne et ce depuis 1948. Ici rien à voir avec l’élection d’une Miss. La désignation de la jeune fille repose avant tout sur ses valeurs morales : elle doit être chrétienne et engagée auprès des autres au sein d’une association. Jusqu’en 2000, elle était choisie une année dans un lycée privé puis l’année suivante dans un établissement public. Elle devait être née à Orléans, y vivre et y étudier. Des critères élargis depuis mais les qualités morales exigées, elles, demeurent. 

Mathilde Edey-Gamassou face à Olivier Carré et Edouard Philippe en 2018, La République du Centre

Des jeunes filles malmenées parfois comme en témoignent en 2018, via les réseaux sociaux, les commentaires racistes et haineux envers Mathilde Edey-Gamassou, (voir Mag Centre 9 mai 2018) la jeune orléanaise d’origine polonaise et béninoise qui incarne la Pucelle d’Orléans cette année-là. Des propos condamnés à Orléans et ailleurs et bien sûr dans les discours du 8 mai. Ainsi, le maire Olivier Carré martèle que « le racisme n’a jamais sa place en France, a fortiori lorsqu’il s’agit de fêter la plus belle figure de notre roman national » . De son côté le Premier Ministre Edouard Philippe réserve la fin de son allocution à Mathilde en reprenant la belle phrase de Malraux prononcée en 1961 à Orléans, à propos de la libératrice de la cité : « Que les filles d’Orléans continuent à t’incarner tour à tour ! Toutes se ressemblent, toutes te ressemblent ».

Vous l’aurez compris cet ouvrage riche et dense est à découvrir dans l’ordre que l’on souhaite, selon ses goûts et ses préférences tant il y a à lire mais aussi à voir. Une jolie idée de cadeau à glisser sous le sapin. 

Sophie Deschamps