Le temps des Canalous est un roman drôle et rondement mené sur la batellerie du centre de la France au début du XXe siècle. C'est aussi une ode, précisément documentée, aux haleurs, ces forçats de la bricole (*), et au petit peuple des canaux. Publié en 1972 par Roger Semet (1910-1975), Bourguignon, journaliste et chroniqueur au "Canard enchaîné", le livre donne vie à une réjouissante collection de personnages, et allie une belle érudition à la truculence de la langue. Epuisé depuis des années, l'ouvrage vient enfin d'être réédité (**) par Corsaire Éditions.

Il y a du Frédéric Dard, versant San Antonio, dans la langue de Semet. Chez ses Canalous, les pères de famille n'ont pas des bouches à nourrir, mais "des culs à faire péter". Ses personnages, gaillards, bruts de décoffrage, mettent autant d'enthousiasme et de gaité à se mettre sur le museau pour un oui pour un non, à boire bien après plus soif ou à aimer leur prochain. La vie est dure le long des canaux, les gosiers secs et les sentiments pas compliqués, mais les cœurs sont grands. Les gâs comme les fumelles (en bourguignon dans le texte) y travaillent dur, à tirer du sable dans la Loire, charger du charbon, laver le linge dans l'eau glacée, faire aller droit des théories d'enfants, ou encore, comme Canéné, le héros du livre, à s'esquinter l'épaule sous la bricole, de Digoin à Saint-Mammès et de Saint-Mammès à Digoin.

Pour décrire les jeunes années de son héros, Semet s'est inspiré de sa propre enfance, passée, insouciante sur les berges de Digoin (Saône-et-Loire). La suite, l'auteur l'a nourrie de "vitamines culturelles" : "Ces vitamines, je les maraudai dans de gros gras vieux bouquins de la Bibliothèque nationale, dans des dossiers obèses d'ingénieurs de la navigation, dans des placards d'éclusiers (...). Mais surtout dans les vapeurs d'un litron de picrate posé sur le cul d'une péniche ou le zinc d'un café de la Marine" prévient-il dans sa Préface, un passionnant texte préliminaire où l'auteur explique notamment comment les canaux sont apparus grâce aux Wisigoths et à leurs moulins...

Si la réédition de cet ouvrage mythique qui se doit de figurer dans toutes les bibliothèques batelières doit être saluée, nous regretterons cependant que les notes qui sont venues l'augmenter soient trop souvent erronées, voire même carrément à contresens. C'est sûr Canéné, l'aurait pas aimé ça...

(*) NOTE => Bande de cuir ou de tissu passée en travers de la poitrine pour tirer les bateaux.
(**) NOTE => À sa sortie, en 1972, "Le temps des Canalous" a été récompensé par l'Académie de l'humour et l'Académie de navigation.