Victor Hugo ne fut pas qu’un  indiscutable génie littéraire, il prit part aux combats sociaux de son siècle.  Nul n’ignore l’exilé de Guernesey et les raisons de cet exil, on sait moins qu’il fut, nommé en 1845 par le roi Louis-Philippe pair de France puis à son retour  en France  élu sénateur  de Paris  le 30 janvier 1876.

 Ancien maître de Conférence à l’université d’Orléans, littéraire par nature et par formation, devenu sénateur à son tour et siégeant dans l’hémicycle qui accueillit Victor Hugo, Jean-Pierre Sueur ne pouvait que s’intéresser à ce monument.  Si sa curiosité habituelle ne l’avait porté à se pencher sur les interventions  de son très auguste prédécesseur au palais du Luxembourg, le péguyste averti  qu’il est n’aurait pu se passer de cette recherche qui jusqu’ici n’avait pas donné lieu  à une publication exhaustive. Dans « Victor Marie, Comte Hugo »  Charles Péguy écrit, Hugo  donnait au public  «  tout ce qu’il produisait : le bon et le mauvais ; sachant bien que dans le tas il y en avait du très bon ».

 De cet intérêt est né un petit livre par la taille  mais profond par son contenu. « Victor Hugo  au Sénat » est paru aux éditions orléanaises « Corsaire éditions ». La couverture, déjà,  retient  l’attention. Un portrait d’Hugo l’occupe toute entière. Sous le front large le regard interpelle, celui d’un homme d’expérience, pénétrant parce que débordant de visions à exprimer. Et puis il y a l’importance donnée à la main droite, celle qui tient la plume et inscrit sur le papier les mots qui portent.

 Jean- Pierre Sueur s’est attaché aux interventions de l’écrivain, à sa vie  dans la  Haute assemblée en respectant l’ordre chronologique.  De façon assez surprenante, cela commence par  une partie de jambes en l’air. Avec Victor Hugo, comment s’en étonner ? Dans ce domaine  sa réputation est établie depuis longtemps. Le 5 juillet 1845, ce pair de France s’est offert une nuit dans une chambre meublée du passage Saint-Roch avec « sa chère Léonie », femme mariée  dont le mari « peu accommodant » envoie au petit matin  un commissaire verbaliser. Hugo  se drape aussitôt dans son immunité parlementaire  mais Léonie va en prison.  Louis-Philippe fait libérer Léonie et conseille à son ami de  se faire oublier  avec un voyage de trois mois. Hugo suit le conseil à sa manière  en  se réfugiant chez son « irrégulière régulière au long cours », Juliette Drouet.

 Le Sénat source d’inspiration

Même si le grand homme n’échappe pas au vaudeville, plus sérieusement c’est dans la rue de Tournon qui mène au Palais du Luxembourg  que  l’écrivain sent naître en lui « les Misérables ». Au XIXè  siècle, alors que l’industrie est en pleine expansion, le peuple meurt de faim. Riches et pauvres se côtoient sans se voir. Témoin d’une scène qui illustre ce constat  Hugo note une phrase  définitive et toujours d’actualité, «  Du moment où cet homme (le pauvre  arrêté pour avoir volé un pain)  s’aperçoit que cette femme existe (la riche duchesse dans son carrosse) et que cette femme ne s’aperçoit pas que cet homme est là, la catastrophe est inévitable ». Hugo  s’inspire également du nom d’un de ses collègues « le baron Thénard » hostile à toute réforme sociale  pour donner son nom aux Thénardier.

Le pardon avant tout

Jean-Pierre Sueur, sénateur du Loiret.

  Dès 1846 Hugo s’engage contre la peine de mort. Cet homme qui ne put échapper  à son époque comme tout un chacun  quel que soit le siècle où il vit,   né à droite, admirateur de Napoléon Ier, se range assez vite du côté des faibles et des pauvres. Au  lendemain de la Commune, dès octobre 1871 Hugo demande pour les Communards « l’amnistie, tout de suite, l’amnistie avant tout ». Et  le 22 mai  1876, du haut de la tribune, il lance « Messieurs, dans la langue politique, l’oubli s’appelle l’amnistie. Je demande l’amnistie. Je la demande pleine et entière. Sans conditions. Sans restrictions. Il n’y a d’amnistie que l’amnistie. L’oubli seul pardonne . L’amnistie ne se dose pas. Demander : Quelle quantité d’amnistie faut-il ? C’est comme  si l’on demandait : Quelle quantité de guérison faut-il ? Nous répondons : il la faut toute ». Aux yeux de ses collègues Hugo qui la refusent passe pour un homme d’extrême gauche.

 L’homme engagé

 Il en faut beaucoup plus pour faire taire Victor Hugo pour qui « aimer c’est agir ». Et il ne se prive pas de soulever des questions et de donner son point de vue dont la justesse traverse les siècles. Il démontre l’utilité du Sénat qui est  «  un bouclier » qui « rassure la patrie ». Il plaide pour la cause des droits d’auteur et s’intéresse bien avant tout le monde à la préservation du littoral. Il en profite, au passage,  pour définir l’importance de la loi en général.

 En lisant ce livre certains se plaindront d’une absence de commentaires, de détails sur les circonstances, de mises en perspectives. On peut leur répondre sans grande difficulté que la parole de Victor Hugo se suffit à elle-même, qu’elle est suffisamment universelle, puissante et juste  pour se passer de commentaire. Ce fut en tout cas le choix de Jean-Pierre Sueur à qui revient le mérite de nous la rappeler. A chacun d’en faire son miel.

 Françoise Cariès