"Maurice Genevoix donne à voir, mais aussi à entendre"

Jacques Tassin en conférence-dédicace à Decize : "Maurice Genevoix donne à voir, mais aussi à entendre"

Jacques Tassin, chercheur en écologie végétale, passionné de Maurice Genevoix et de son œuvre, est invité à donner une conférence à Decize, samedi 5 octobre. Droits Réservés

 
Sa passion pour Maurice Genevoix et son œuvre est communicative. Le chercheur en écologie végétale, Jacques Tassin, auteur de quatre (et bientôt cinq) ouvrages sur l’écrivain-soldat né à Decize, viendra samedi 5 octobre en conférence-dédicace.

Convié par l’association decizoise Lire sous les Halles, le scientifique Jacques Tassin, donne, samedi 5 octobre, à 17 h 30, salle Denfert-Rochereau, une conférence intitulée "ce que nous lègue Maurice Genevoix", avant de dédicacer son dernier livre, Au-devant de Maurice Genevoix (Éditions Corsaire).

 

Que vous inspire le report d’un an de l’entrée au Panthéon de Maurice Genevoix ?
Ce n’est pas si mal, on va parler de lui une année de plus ! C’est amusant de voir qu’il y a un grain de sable, ça lui ressemble… Lui qui n’aimait pas particulièrement les fastes. Mais les rencontres, ça, oui, il aimait. Avec tous les esprits possibles, dans toute leur diversité. Il n’était pas attiré par tout ce qui brille.

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En quoi Maurice Genevoix est-il l’un de vos inspirateurs privilégiés ?
Pour moi, c’est d’abord de l’admiration, avant l’inspiration. Pour ce personnage qui cumule beaucoup de talents et qui a dépassé ce à quoi il a pu être formé. Lui qui avait une culture extrêmement solide est revenu aux choses les plus vraies de la vie. C’est lié à son expérience de guerre : il a vu les hommes dans leur réalité. Ce qui me fascine aussi, c’est son style littéraire, l’élégance de son style. Il y a une petite musique dans son écriture. C’en est troublant, je ne me l’explique pas. Je suis un peu musicien, et il a été dit de son écriture qu’elle ressemblait à de la musique de chambre, avec des voix chantantes. De son premier à son dernier livre, c’est le même talent d’écriture, et le même regard sur la vie. C’est frappant, cette unité, cette constance.

Maurice Genevoix n’a jamais perdu le contact avec le vivant.

Selon vous, que nous lègue donc Maurice Genevoix ?
Son premier legs, c’est son magnifique témoignage, Ceux de 14. Il s’est contenté de peindre pour donner la matière brute du ressenti des soldats, sans pathos.

Le deuxième legs est dans l’écriture d’un auteur qui a dépassé les techniques. Il aurait pu être virtuose, jouer au philosophe, donner des leçons, mais il ne l’a pas fait. C’est ça qui touche : il n’y a pas d’écran intellectualisé, c’est du corps-à-corps.

J’en viens au troisième legs : l’approche sensible du monde. Sa capacité à appréhender le monde et en faire part de manière sensible, à la faveur de son talent de peintre. Dans ses livres, on passe d’un tableau à l’autre. À chaque fois, on est au plus près de ce qu’il a ressenti. C’est la chair du monde. Maurice Genevoix donne à voir, mais aussi à entendre. Il le fait avec un talent qui, pour moi, n’a pas d’équivalent. J’ai beaucoup lu… Mais, en toute objectivité, je n’ai jamais trouvé d’équivalent. Et moi qui suis chercheur, je vois chez Genevoix ce qu’on appelle de l’éco-sensibilité. Ça vient en accord avec l’idée selon laquelle, dans l’écologie, on a beaucoup avancé en manipulant des données chiffrées, mais on a perdu le contact avec le vivant. Maurice Genevoix, lui, n’a jamais perdu le contact avec le vivant dans son œuvre. "J’aime la vie au point de l’aimer au-delà de moi-même", disait-il.

Maurice Genevoix aurait pu être un très grand philosophe de la nature. Il a choisi la voie de la poésie, une voie de visionnaire.

En quoi était-il un visionnaire, selon vous ?
On peut dire, si on veut être méchant, qu’il était passéiste, car très attaché au monde rural qu’il a traversé dans son enfance… Mais il ne renvoyait pas les valeurs au passé, il défendait leur intemporalité à l’Académie française. Les jeunes de 20 ans, aujourd’hui, peuvent se dire que son œuvre est has been, mais non, c’est en dehors du temps ! On retrouve dans son œuvre des grandes questions de société, existentielles. Ce n’est pas présenté comme ça, car il n’est pas donneur de leçons, mais c’est dit avec beaucoup de délicatesse. J’apprécie beaucoup le fait qu’il ait échappé aux injonctions familiales de devenir pharmacien ou médecin, il a eu ce cran. Maurice Genevoix aurait pu être un très grand philosophe de la nature. Il a choisi la voie de la poésie, une voie de visionnaire.


Maurice Genevoix est un auteur méconnu…
Oui. Il a eu son heure de gloire, de son vivant. Je me souviens, j’avais 20 ans quand il est mort, et il faisait déjà partie de mes auteurs préférés. J’avais 12 ans quand j’ai commencé à le lire. Je l’ai vu dans des émissions télé, il passait bien, ce vieux monsieur qui avait beaucoup d’humour, de prestance, de mémoire, de vivacité d’esprit et de jeunesse d’esprit… Après son décès, ça s’est effondré, il n’y a pas eu de postérité telle qu’on aurait pu l’attendre. Cette "double" panthéonisation permettra peut-être de le mettre au goût du jour… Quand je discute avec des jeunes, je sens autant de réticence vis-à-vis de ce qu’ils considèrent comme une écriture poussiéreuse, que de recherche de personnages qui parleraient de la vie vivante.

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C’est la première fois que vous venez à Decize ?
Oui, j’en suis très heureux, je vais voir la maison natale de Maurice Genevoix. Quand j’ai été invité à venir, je n’ai pas hésité !

Votre cinquième livre sur Maurice Genevoix sortira en novembre.
J’ai écrit cette biographie (Éditions Flammarion) avec l’aide d’une historienne. Mon dernier livre, Au-devant de Maurice-Genevoix, sorti fin septembre et que je vais dédicacer à Decize, est en fait l’aboutissement de ma quête : je me suis imaginé le rencontrer. C’est hardi, osé, mais je me suis offert ça. Je l’avais rencontré dans mes rêves… Je suis passé des rêves au livre.

Bio express

Chercheur écologue au Cirad, à Montpellier, Jacques Tassin est notamment l’auteur de Penser comme un arbre, qui a eu du succès. Il se passionne pour Maurice Genevoix, « grand écrivain des formes du vivant et des amitiés secrètes qui nous lient à elles ».

Perrine Vuilbert