On ne présente plus Jean Van Hamme, le scénariste de quelques-uns des plus grands best-sellers de la bande dessinée, comme XIII, Thorgal ou Largo Winch.

Quels livres ont été décisifs dans sa vocation de raconteur d’histoires ? Jean, est-ce que tu as grandi avec des "livres cultes" ? (interviewé par Hugues Dayez dans Spirou, novembre 2010).

Certes, mais ces lectures datent de mes dix, douze ans ; après cela, je ne pensais plus qu’aux filles ! Mais j’ai dévoré certains livres et je me disais : « Nom d’un chien, ces auteurs sont quand même de formidables raconteurs d’histoires ! » Je te les cite en vrac, ce sont des grands classiques : Les Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas, Jules Verne, Émile Zola, etc. Mais surtout, j’avais une vraie passion pour un auteur totalement oublié aujourd’hui : Louis Boussenard. Il a écrit une multitude de romans d’aventures superbement documentés.

Je t’en cite quelques-uns de mémoire : Les Étrangleurs du Bengale – pas besoin de te préciser où se déroule l'action -, Un capitaine casse-cou, qui se passe pendant la Guerre des Boers, et puis Sans le sou, l’histoire d’un gars qui part faire le tour du monde avec, pour tout bagage, un papier journal autour des reins… C’était fa-bu-leux ! Je lisais ça en feuilleton, dans de gros recueils d’une vieille revue des débuts du XXe siècle, qui s’intitulait Mon Bonheur,

figure-toi ! Et curieusement, le seul auteur que je connaisse qui ait cité Boussenard comme détonateur de son désir d’écrire des histoires, c’est Henri Vernes, le père de Bob Morane… Enfin, cela signifie que nous sommes au moins deux à ne pas l’avoir oublié !

Dans un entretien avec Roger Maudhuit publié en 2005, Charles Dewisme, né en 1918, auteur sous le pseudonyme d'Henri Vernes, de romans d'aventures ayant pour héros Bob Morane, s'est exprimé sur Louis Boussenard et sur Jules Verne :

« … des livres de Jules Verne, dans ma jeunesse, j'en ai lu un paquet. Pas tout, mais à peu près… Mais ce n'était pas mon écrivain préféré. Moi, j'aimais Paul d'Ivoi, Jack London, Louis Boussenard…

- Louis Boussenard ?

- Ah ! vous voyez, il est oublié ! Et c'est bien dommage, c'était un grand écrivain, qui eut une influence certaine sur moi. Il faut le lire, cet auteur‑là ! Il savait emmener le lecteur… Jules Verne, j'aimais bien, mais j'ai toujours trouvé qu'il écrivait d'une façon assez froide… Les autres avaient plus d'entrain, plus de fantaisie… Vous savez, je me demande si on parlerait encore de Jules Verne aujourd'hui, en tout cas comme on en parle, si comme un Zévaco il avait été imprimé sur du mauvais papier. Jules Verne a la chance d'avoir de belles reliures, de belles illustrations… » Jules Verne, la face cachée. Paris, France-empire, p. 195, 291 p.

Jean-Paul Sartre, dans Les Mots (1964), expose la technique narrative de Louis Boussenard et de Jules Verne, qu'il avait fait sienne lors ses premières tentatives d'écriture. Il s'agissait d'instruire en divertissant :

« Boussenard et Jules Verne ne perdent pas une occasion d'instruire : aux instants les plus critiques, ils coupent le fil du récit pour se lancer dans la description d'une plante vénéneuse, d'un habitat indigène. Lecteur, je sautais ces passages didactiques, auteur, j'en bourrai mes romans ; je prétendis enseigner à mes contemporains tout ce que j'ignorais : les mœurs des Fuégiens, la flore africaine, le climat du désert.»

Sartre poursuit, au sujet de ses premiers travaux d'écriture, en 1912 :

"Je prenais tout mon temps pour transcrire l'article [l'article requin du dictionnaire Larousse] : je me sentais délicieusement ennuyeux, aussi distingué que Boussenard et, n'ayant pas encore trouvé le moyen de sauver mes héros, je mijotais dans des transes exquises. » Les Mots, Paris, Gallimard, p. 118 et 119, 213 p.