Dans tous les cas de figure, il y a une rupture qui rend caduques les catégories de l’esthétique traditionnelle. « Il n’y a plus de grands hommes, plus de génies, proclame Dubuffet. Nous voici
enfin débarrassés de ces mannequins au mauvais œil : c’était une invention des Grecs, comme les Centaures et les Hippogriffes.» Mais si le fou ou l’ouvrier agricole, indemnes de toute culture, de toute formation spécifique, peuvent être assimilés à des artistes, où allons nous ? A moi, Kant ! Dans sa conception, le génie est un privilège dont tout homme n’est pas pourvu. Seuls parviendront à l’excellence artistique ceux qui, par leur culture et l’imitation des modèles, sauront donner, à travers leur création, le sentiment universel de la beauté.
Robillard contre Kant. Aboutis, ses fusils, faits de bric et de broc ? Vous plaisantez ! Avec l’art brut, la culture ne serait plus le cadre au sein duquel peut naître le génie mais bien plutôt celui dans lequel et par lequel il est réprimé ? Voyons, c’est le monde à l’envers ! Qu’un aliéné reste un aliéné. Qu’un facteur distribue ses lettres au lieu de construire des palais comme le père Cheval.
C’est ainsi que Robillard dérange encore un certain public avec ses armes de guère, ces pétoires pour la guerre des boutons. Pourtant, ce sont bien ses souffrances de jadis, ses rêves aussi qu’il sublime àtravers des oeuvres, certes déconcertantes, mais si inventives et proches de notre humanité. « Deux balles », les fusils d’André ? Non, sans balles et c’est pour cela qu’on les aime, à tout prix (qu’importe leur cote sur le marché de l’art !). C’est pour cela aussi qu’on les préfère aux canons, fussent-ils ceux de l’esthétique.

Christian Jamet