Il aura fallu à Virginie Brancotte rien moins que 10 ans pour débusquer ces textes devenus introuvables, les collecter patiemment, les lire assidûment, classer méticuleusement, trier amoureusement, organiser savamment. Pour s’imprégner passionnément d’une œuvre atypique afin de nous en livrer la plus intime essence, la plus sincère beauté. C’est à cette ethnologue et journaliste du giennois que nous devons en 2010 d’avoir levé le voile sur ce marchand de berlingot de Châtillon-sur-Loire, poète d’autrefois au regard affûté et à la plume pittoresque. Après « Camille Delamour, poète berlingotier » sa biographie publiée en 2010, l’éditeur Corsaire et l’auteure ne pouvaient en rester là, il fallait impérativement (et urgemment) redonner vie à ses rimes. Ouf, c’est chose faite. Le recueil coure depuis les premiers poèmes de 1946 au tout dernier, écrit quelques semaines avant son décès survenu en octobre 1965. Acoute el lousiou, le carriau cassé, l’abat-jour vert, Trein’canon, Les cloches à melon… autant de pépites de ce parler berrichon qui s’écrit comme il s’écoute, c’est-à-dire avec l’âme émerveillée d’un petit enfant. Suspendu au fil de toutes ces historiettes du quotidien, l’on reste confondu devant tant d’acuité, de bonhommie, d’humour et de vérité. Delamour c’est le monde riche et truculent des campagnes d’avant la télé et la bagnole. Ce sont les fêtes de villages bigarrées et les petites bouchures colorées. Chaque page dégouline de cette infinie tendresse qu’ont les poètes pour les hommes et les femmes qui travaillent dur, pour la Nature aux milles facettes et toujours pour la terre, basse, rétive, mais nourricière. L’insolite d’une situation, un chagrin, une émotion, et voila Delamour qui nous ouvre, mieux qu’un appareil photographique, une bouinotte sur ce « cheu nou » de jadis où l’ordinaire est sublimé et la simplicité portées aux nues. Et que dire de cette version décapante de « La cigale et la fourmi » que n’aurait pas reniée le grand fabuliste ? ! Tout cela est si émouvant qu’un instant j’ai eu l’idée d’écrire mon article en vers mais n’est pas Delamour qui veut ! No¬ tons également la présence d’un petit glossaire berrichon en fin d’ouvrage.

Après l’hommage à l’artiste, il nous faut également tirer un sacré coup d’chapiau à Virginie Brancotte. En sus du tita- nesque, la tâche n’était pas simple et c’est grâce à une sensibilité peu commune qu’elle put être menée. Il a fallu à la biographe également beaucoup d’abnégation, rogner sur de nombreux sommeils pour suivre Delamour à la trace et par¬ venir à boucler la boucle. Mais grâce à elle justice est rendue et voici la mémoire du poète forain définitivement préservée.

LPB : Virginie Brancotte, peut-on ici parler d’une

« intégrale » de l’œuvre de Camille Delamour ?

VB : Certes non mais ce livre représente la partie la plus significative, la plus caractéristique, de sa production. Tout n’a pas été retrouvé et puis les pièces de théâtre des débuts avaient été écrites dans un contexte précis et il n’est pas certain que leur perception soit la même aujourd’hui. C’est la même chose avec les chansons, qui pour la plupart étaient composées pour ces mêmes spectacles (Delamour était musicien NDLR). Pour ceux qui souhaiteraient se mettre plus de textes sous la dent, Corsaire et moi avons fait don de la totalité de notre collecte à la bibliothèque de Gien.

LPB : Ces textes ont accompagné votre vie pendant

10 ans. Quelle impression cela vous fait-il d’en être tout à coup séparée ?

VB : Je me sens un peu étourdie mais fière de leur avoir évité le froid de l’oubli. C’est un aboutissement et J espère Que le public trouvera beaucoup de plaisir à les découvrir. L’exposition qui a été consacrée à Camille Delamour l'année passée a permis de faire (à nouveau) éclater au grand jour son immense talent, gageons qu’avec la publication de ses textes celui-ci ne tardera pas à se répandre dorénavant comme une traînée de poudre. Après tout, cela ne serait que légitime récompense pour cet écrivain attachant dont l’authenticité et la modestie, apanages des grands, ont su élever le rustique de Châtillon au pinacle de la littérature berrichonne.

Christian Benz

 

Fini l’oubli, les « P’tits moniaux du bois mouillé » gazouillent à nouveau